EuGH: Umstrukturierung griechischer Staatsschulden – EZB ist Anlegerschaden nicht zuzurechnen
EuGH, Urteil vom 7.10.2015 – Rs. T-79/13, Alessandro Accorinti gegen Banque centrale européenne (BCE), ECLI:EU:T:2015:756
Volltext: BB-Online BBL2015-2562-3
unter www.betriebs-berater.de
Nicht amtliche Leitsätze
Mit Urteil vom 7.10.2015 – Rs. T-79/13 – hat der EuGH entschieden, dass der Schaden, den die privaten Inhaber griechischer Schuldtitel im Jahr 2012 im Rahmen der Umstrukturierung der griechischen Staatsschulden erlitten haben, nicht der EZB zuzurechnen ist, sondern den wirtschaftlichen Risiken, die regelmäßig mit Tätigkeiten im Finanzsektor einhergehen. Die privaten Investoren können sich in einem Bereich wie dem der Geldpolitik, der Gegenstand einer ständigen Anpassung anhand der Veränderungen der wirtschaftlichen Lage ist, weder auf den Grundsatz des Vertrauensschutzes noch auf den Grundsatz der Rechtssicherheit berufen. Das Gericht hält auch den allgemeinen Grundsatz der Gleichbehandlung nicht für anwendbar, da sich die privaten Sparer oder Gläubiger und die EZB (ebenso wie die NZB des Eurosystems) nicht in einer vergleichbaren Situation befanden. In Anbetracht der griechischen Finanzkrise und der damit verbundenen außergewöhnlichen Umstände ließ sich die EZB ausschließlich von im öffentlichen Interesse liegenden Zielen leiten, wie etwa dem Ziel der Gewährleistung der Preisstabilität und einer soliden Geldpolitik.
(PM EuG vom 7.10.2015)
Tenor
1) Le recours est rejeté.
2) M. Alessandro Accorinti et les autres requérants dont les noms figurent en annexe sont condamnés aux dépens.
Aus den Gründen
Arrêt
Cadre juridique
1 L’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE énonce les objectifs et les missions fondamentales du Système européen de banques centrales (SEBC).
2 L’article 2 et l’article 3, paragraphe 1, du protocole n° 4 sur les statuts du SEBC et de la Banque centrale européenne (JO 2010, C 83, p. 230, ci-après les « statuts ») définissent ces objectifs et ces missions de manière identique.
3 L’article 18 des statuts prévoit :
« 1. Afin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent :
– intervenir sur les marchés de capitaux soit en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme), soit en prenant et en mettant en pension, soit en prêtant ou en empruntant des créances et des titres négociables, libellés en euros ou d’autres monnaies, ainsi que des métaux précieux ;
– effectuer des opérations de crédit avec des établissements de crédit et d’autres intervenants du marché sur la base d’une sûreté appropriée pour les prêts.
2. La BCE définit les principes généraux des opérations d’open market et de crédit effectuées par elle-même ou par les banques centrales nationales, y compris de l’annonce des conditions dans lesquelles celles-ci sont disposées à pratiquer ces opérations. »
4 La Banque centrale européenne (BCE) a défini les principes généraux des opérations d’open market et de crédit, d’abord, dans son orientation 2000/776/BCE, du 31 août 2000, concernant les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème (BCE/2000/7) (JO L 310, p. 1). Cette orientation a, ensuite, été modifiée à plusieurs reprises et, enfin, été consolidée et remplacée, avec effet au 1er janvier 2012, par l’orientation 2011/817/UE de la BCE, du 20 septembre 2011, concernant les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème (BCE/2011/14) (JO L 331, p. 1). L’annexe I desdites orientations, intitulée « Documentation générale sur les instruments et procédures de politique monétaire de l’Eurosystème » (ci-après la « documentation générale »), expose les critères régissant la mise en œuvre uniforme de la politique monétaire dans la zone euro, dont la définition des « actifs éligibles » (point 6). La BCE a précisé cette définition, en dernier lieu, dans son orientation 2011/817, notamment, en fixant, aux points 6.3.1 et 6.3.2 de la documentation générale, les critères régissant tant l’exigence minimale en matière de qualité de signature ou du seuil de qualité du crédit que la qualité de signature élevée pour les actifs négociables.
Antécédents du litige
5 En mai 2010, en raison de la crise financière de l’État grec et des discussions portant sur un plan de restructuration de la dette publique grecque soutenu par les États membres de la zone euro et par le Fonds monétaire international (FMI), l’évaluation normale par les marchés financiers des titres de créance émis par le gouvernement hellénique était perturbée, ce qui avait des répercussions négatives sur la stabilité du système financier de la zone euro.
6 Au regard de cette situation, par décision 2010/268/UE, du 6 mai 2010, relative à des mesures temporaires concernant l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou garantis par le gouvernement hellénique (BCE/2010/3) (JO L 117, p. 102), la BCE a décidé de suspendre temporairement « [l]es exigences minimales de l’Eurosystème en matière de seuils de qualité du crédit, telles que précisées par les règles du dispositif de l’Eurosystème d’évaluation du crédit applicables aux actifs négociables [au point] 6.3.2 de la documentation générale » (article 1er, paragraphe 1, de ladite décision). Selon l’article 2 de cette décision, « [l]e seuil de qualité du crédit de l’Eurosystème ne s’applique pas aux titres de créance négociables émis par le gouvernement hellénique » et « [c]es actifs constituent une sûreté éligible aux fins des opérations de politique monétaire de l’Eurosystème, nonobstant leur notation de crédit externe ». L’article 3 de la même décision prévoit une règle analogue pour les « titres de créance négociables émis par les entités établies en Grèce et totalement garantis par le gouvernement hellénique ».
7 Aux termes du considérant 5 de la décision 2010/268, notamment, « [c]ette mesure exceptionnelle […] s’appliquera temporairement, jusqu’à ce que le conseil des gouverneurs estime que la stabilité du système financier permet la mise en œuvre normale du cadre de l’Eurosystème pour les opérations de politique monétaire ».
8 Le 14 mai 2010, la BCE a adopté la décision 2010/281/UE instaurant un programme pour les marchés de titres (BCE/2010/5) (JO L 124, p. 8), sur le fondement de l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE, et, notamment de l’article 18, paragraphe 1, des statuts.
9 Aux considérants 2 à 5 de la décision 2010/281, il est, notamment, indiqué ce qui suit :
« (2) Le 9 mai 2010, le conseil des gouverneurs a décidé et publiquement annoncé que, compte tenu des circonstances exceptionnelles prévalant sur les marchés de capitaux, caractérisées par de graves tensions sur certains compartiments de marché qui entravent le mécanisme de transmission de la politique monétaire et, par là, la conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme, il convenait de mettre en place un programme temporaire pour les marchés de titres (ci-après le ‘programme’). Dans le cadre du programme, les [banques centrales nationales] de la zone euro, en fonction de leurs parts exprimées en pourcentage dans la clé de répartition pour la souscription au capital de la BCE, et la BCE, en contact direct avec les contreparties, peuvent procéder à des interventions directes sur les marchés obligataires tant publics que privés de la zone euro.
(3) Le programme fait partie de la politique monétaire unique de l’Eurosystème et s’appliquera temporairement. Le programme a pour objectif de remédier au dysfonctionnement des marchés de titres et de rétablir un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire.
[...]
(5) Dans le cadre de la politique monétaire unique de l’Eurosystème, il convient que l’achat ferme de titres de créance négociables éligibles par les banques centrales de l’Eurosystème en vertu du programme soit réalisé conformément aux dispositions de la présente décision. »
10 Aux termes de l’article 1er de la décision 2010/281, sous le titre « Instauration du programme pour les marchés de titres », notamment, « les banques centrales de l’Eurosystème peuvent acheter [...] sur le marché secondaire, les titres de créance négociables éligibles émis par les administrations centrales ou les organismes publics des États membres dont la monnaie est l’euro ». L’article 2 prévoit comme critères d’éligibilité des titres de créance, notamment, que ceux-ci soient « libellés en euros » et émis par lesdites administrations centrales ou par lesdits organismes publics.
11 Aux termes d’un communiqué de presse du 1er juillet 2011 de l’Institut de la finance internationale (IFI), l’association globale des institutions financières a déclaré, notamment :
« Le conseil d’administration de l’Institut de la finance internationale s’emploie à travailler avec ses associés et les autres institutions financières, avec le secteur public et les autorités helléniques, non seulement pour offrir à la [République hellénique] une contribution substantielle en termes de flux de trésorerie, mais aussi pour poser les bases d’une position débitrice plus soutenable.
La communauté financière privée est disposée à faire un effort volontaire, de coopération, transparent et à grande échelle, pour soutenir la [République hellénique], étant donné le caractère unique et exceptionnel des circonstances […]
La contribution des investisseurs privés viendra en complément du soutien financier et de la trésorerie publique et sera réduite à un nombre limité d’options […] »
12 Le 21 juillet 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et des institutions de l’Union européenne se sont réunis pour délibérer sur des mesures à prendre afin de surmonter les difficultés auxquelles la zone euro était confrontée.
13 Dans leur déclaration conjointe du 21 juillet 2011, il est exposé, notamment, ce qui suit :
« 1. Nous nous félicitons des mesures prises par le gouvernement grec pour stabiliser ses finances publiques et [pour] réformer son économie, ainsi que du nouveau train de mesures, y compris de privatisation, récemment adopté par le Parlement grec. Ces mesures constituent des efforts sans précédent, mais qui sont nécessaires pour que l’économie grecque retrouve la voie d’une croissance durable. Nous sommes conscients des efforts que les mesures d’ajustement entraînent pour les citoyens grecs et nous sommes convaincus que ces sacrifices sont indispensables pour la reprise économique et qu’ils contribueront à la stabilité et à la prospérité futures du pays.
2. Nous convenons de soutenir un nouveau programme pour la [République hellénique] et, avec le FMI et la contribution volontaire du secteur privé, de couvrir intégralement le déficit de financement. Le financement public total s’élèvera à un montant estimé à 109 milliards d’euros. Ce programme visera, notamment grâce à une réduction des taux d’intérêt et à un allongement des délais de remboursement, à ramener l’endettement à un niveau bien plus supportable et à améliorer le profil de refinancement de la [République hellénique]. Nous appelons le FMI à continuer de contribuer au financement du nouveau programme pour la [République hellénique]. Nous avons l’intention d’utiliser le [Fonds européen de stabilité financière] en tant qu’instrument de financement pour le prochain décaissement. Nous suivrons avec beaucoup d’attention la mise en œuvre rigoureuse du programme sur la base d’une évaluation régulière effectuée par la Commission en liaison avec la BCE et le FMI.
[…]
5. Le secteur financier a indiqué qu’il était prêt à soutenir la [République hellénique] sur une base volontaire en recourant à différentes possibilités permettant de renforcer encore la viabilité globale. La contribution nette du secteur privé est estimée à 37 milliards d’euros […] Un rehaussement de crédit sera fourni pour étayer la qualité de la garantie, afin d’en permettre l’utilisation continue pour que les banques grecques puissent accéder aux opérations de liquidités de l’Eurosystème. Nous fournirons des ressources appropriées pour recapitaliser les banques grecques si nécessaire. »
14 S’agissant de la participation du secteur privé, ladite déclaration indique à son point 6 ce qui suit :
« Pour ce qui est de notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous tenons à préciser que la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et bien spécifique. »
15 Lors de leur sommet du 26 octobre 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro ont déclaré, notamment, ce qui suit :
« 12. La participation du secteur privé joue un rôle vital pour ramener l’endettement de la [République hellénique] à un niveau supportable. C’est pourquoi nous nous félicitons des discussions en cours entre la [République hellénique] et ses investisseurs privés visant à trouver une solution permettant d’approfondir la participation du secteur privé. Parallèlement à un programme de réforme ambitieux pour l’économie grecque, la participation du secteur privé devrait garantir la diminution du ratio de la dette grecque au PIB, l’objectif étant de parvenir à un taux de 120 % d’ici à 2020. À cette fin, nous invitons la [République hellénique], les investisseurs privés et toutes les parties concernées à mettre en place un échange volontaire d’obligations avec une décote nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés. Les États membres de la zone euro contribueront à l’ensemble des mesures relatives à la participation du secteur privé à hauteur de 30 milliards d’euros. Sur cette base, le secteur public est disposé à fournir un financement supplémentaire au titre du programme pour un montant allant jusqu’à 100 milliards d’euros jusqu’en 2014, y compris la recapitalisation requise des banques grecques. Le nouveau programme devrait être arrêté d’ici à la fin de 2011 et l’échange d’obligations devrait être mis en œuvre au début de 2012. Nous demandons au FMI de continuer à contribuer au financement du nouveau programme grec.
[…]
14. Un rehaussement de crédit sera fourni pour étayer la qualité de la garantie, afin de permettre aux banques grecques de continuer à y recourir pour avoir accès aux opérations d’octroi de liquidités dans le cadre de l’Eurosystème.
15. En ce qui concerne notre approche générale à l’égard de la participation du secteur privé dans la zone euro, nous rappelons la décision que nous avons prise le 21 juillet [2011], selon laquelle la situation de la [République hellénique] appelle une solution exceptionnelle et unique. »
16 D’après un communiqué de presse du ministère des Finances hellénique du 17 novembre 2011, ledit ministère avait entamé des négociations avec les détenteurs de titres de créance grecs en vue de préparer une transaction d’échange volontaire de tels titres avec une décote (« haircut ») nominale de 50 % sur la valeur notionnelle de la dette grecque détenue par les investisseurs privés, telle que prévue au point 12 de la déclaration du 26 octobre 2011.
17 Le 15 février 2012, la BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème, d’une part, et la République hellénique, d’autre part, ont passé un accord d’échange ayant pour objet l’échange des titres de créance grecs détenus par la BCE et par les banques centrales nationales contre de nouveaux titres de créance grecs ayant les mêmes valeurs nominales, taux d’intérêt, dates de paiement des intérêts et de remboursement que les titres destinés à être échangés, mais portant des numéros de série et des dates différents.
18 Le 17 février 2012, sur demande du ministère des Finances hellénique au titre de l’article 127, paragraphe 4, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 5, TFUE, la BCE a rendu un avis positif sur un projet de loi grec portant sur la participation des créanciers privés à la restructuration de la dette publique de la République hellénique, fondée notamment sur l’application des « clauses d’action collective » (ci-après les « CAC »).
19 Aux termes de la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012, notamment :
« [...] L’Eurogroupe prend acte du fait que les autorités grecques et le secteur privé sont parvenus à un accord sur les conditions générales de l’offre d’échange au titre du [Private Sector Involvement (PSI)] qui concerne tous les détenteurs de titres du secteur privé. Cet accord garantit un taux de décote de 53,5 %. L’Eurogroupe estime que cet accord constitue une base appropriée pour le lancement de l’invitation à l’échange faite aux détenteurs de titres d’État grecs (PSI). La réussite de l’opération de PSI constitue une condition préalable nécessaire à un programme destiné à succéder au programme actuel. L’Eurogroupe compte sur une importante participation des créanciers privés à l’échange de la dette, ce qui contribuerait de manière substantielle à la soutenabilité de la dette de la [République hellénique].
[...]
L’Eurogroupe prend acte du fait que les titres d’État grecs sont détenus par l’Eurosystème (la BCE et les [banques centrales nationales]) à des fins d’intérêt public. L’Eurogroupe prend acte du fait que les gains générés par les titres d’État grecs détenus par l’Eurosystème contribueront aux bénéfices de la BCE et des [banques centrales nationales]. Les bénéfices de la BCE seront versés aux [banques centrales nationales] conformément aux règles statutaires de la distribution des bénéfices de la BCE. Les bénéfices des [banques centrales nationales] seront versés aux États membres de la zone euro, conformément aux règles statutaires des[dites banques] en matière de distribution des bénéfices ».
20 Dans un communiqué de presse du 21 février 2012, le ministère des Finances hellénique, d’une part, a divulgué les caractéristiques essentielles de la transaction envisagée d’échange volontaire de titres de créance grecs et, d’autre part, a annoncé la préparation et l’adoption d’une loi à cet effet. Cette transaction devait comporter une demande d’accord et une invitation adressées aux détenteurs privés de certains titres de créance grecs dans le but d’échanger les derniers contre des titres nouveaux avec une valeur nominale égale à 31,5 % de celle de la dette échangée ainsi que contre des titres émis par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) venant à échéance après 24 mois et ayant une valeur nominale de 15 % de celle de la dette échangée, ces différents titres devant être fournis par la République hellénique lors de la clôture de l’accord. En outre, tout investisseur privé participant à cette transaction devait recevoir des sûretés détachables de la République hellénique liées au produit intérieur brut avec une valeur notionnelle égale à celle des nouveaux titres de créance.
21 Dans un communiqué de presse du 24 février 2012, le ministère des Finances hellénique a précisé les conditions régissant la transaction d’échange volontaire de titres de créance impliquant les investisseurs privés [Private Sector Involvement (ci-après le « PSI »)] en se référant à la loi hellénique n° 4050/2012 portant sur les détenteurs de titres de créance grecs, qui avait été adoptée par le Parlement hellénique le 23 février 2012. Cette loi a introduit une procédure au titre des CAC, en vertu de laquelle les amendements proposés devenaient juridiquement contraignants pour tout détenteur de titres de créance régis par le droit hellénique et émis avant le 31 décembre 2011, tels qu’identifiés dans l’acte du Conseil des ministres approuvant les invitations PSI, si lesdits amendements sont approuvés, de manière collective et sans distinction de séries, par un quorum de détenteurs de titres représentant au moins deux tiers de la valeur nominale desdits titres. Dans le préambule de ladite loi, il est notamment indiqué que « [...] la B[CE] et les autres membres de l’Eurosystème ont conclu des accords particuliers avec la [République hellénique] afin d’éviter que leur mission et leur rôle institutionnel, de même que le rôle de la B[CE] en matière d’élaboration de la politique monétaire, tels qu’ils résultent du traité, ne soient compromis ».
22 Aux termes du considérant 3 de la décision 2012/433/UE, du 18 juillet 2012, abrogeant la décision BCE/2012/3 relative à l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique dans le cadre de l’offre d’échange d’obligations par la République hellénique (BCE/2012/14) (JO L 199, p. 26), parallèlement, le 24 février 2012, un rehaussement de crédit, sous la forme d’un programme de rachat, destiné à étayer la qualité des titres de créance négociables émis ou garantis par la République hellénique, a été fourni au profit des banques centrales nationales.
23 Les requérants, M. Alessandro Accorinti et les requérants dont les noms figurent en annexe, détenteurs de titres de créance grecs, ont participé à la restructuration de la dette publique grecque et ont subi des pertes substantielles de la valeur nominale de leurs titres lors de la mise en œuvre de l’offre d’échange d’obligations grecques au titre du PSI et de la procédure en vertu des CAC rendant obligatoire l’échange de titres pour tous les investisseurs privés concernés, sur le fondement de la loi hellénique n° 4050/2012.
24 Le 27 février 2012, la BCE a adopté la décision 2012/133/UE abrogeant la décision BCE/2010/3 relative à des mesures temporaires concernant l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou garantis par le gouvernement hellénique (BCE/2012/2) (JO L 59, p. 36) (voir point 6 ci-dessus), ce qui a eu pour effet de suspendre l’éligibilité des titres de créance grecs en tant que sûretés aux fins d’opérations de politique monétaire de l’Eurosystème.
25 Au soutien de cette abrogation, les considérants 4 et 5 de la décision 2012/133 exposent, d’une part, que « [l]a République hellénique a décidé de faire une offre d’échange d’obligations aux détenteurs de titres de créance négociables émis par le gouvernement hellénique, dans le cadre de la participation du secteur privé », et, d’autre part, que « [c]ette décision de la République hellénique a eu des répercussions négatives supplémentaires sur le caractère approprié, en tant que garanties des opérations de l’Eurosystème, des titres de créance négociables émis par le gouvernement hellénique ou par des entités établies en Grèce et totalement garantis par le gouvernement hellénique ».
26 Selon l’article 2 de ladite décision, celle-ci est entrée en vigueur le 28 février 2012.
27 Dans un protocole d’accord daté du 1er mars 2012, la Commission européenne, agissant au nom des États membres de la zone euro, et la République hellénique sont convenues, notamment, de ce qui suit :
« La République hellénique lancera une offre d’échange pour des titres de créance éligibles non encore réglés en vue de réduire leur valeur nominale de 53,5 %. Les détenteurs de tels titres se verront offrir l’échange des titres de créance existants contre de nouveaux titres de la République hellénique avec une nouvelle valeur nominale à hauteur de 31,5 % de la valeur nominale originale. En outre, 15 % de la valeur nominale originale sera couvert sous forme de titres octroyés auxdits détenteurs […] »
28 S’agissant des crédits devant être octroyés par le FESF, il y est affirmé, notamment, ce qui suit :
« Un montant à concurrence de 35 milliards d’euros sera utilisé pour faciliter la maintenance de l’éligibilité des instruments négociables de dette émis ou garantis par le gouvernement hellénique en tant que sûreté aux fins des opérations de politique monétaire de l’Eurosystème. Cela sera acquis par la mise en place d’un programme de rachat tant qu’une notation de défaut ou de défaut sélectif de paiement est attribuée à la République hellénique ou à ses titres de créance en conséquence de l’offre d’échange de dette […] »
29 Le 1er mars 2012, le FESF, la République hellénique, le Fonds de stabilité financière hellénique, en tant que garant, et la Banque centrale hellénique ont passé un accord portant sur une facilité d’assistance financière de 35 milliards d’euros aux fins de financer le rehaussement de crédit sous la forme d’un programme de rachat et de faciliter le maintien de l’éligibilité des titres de créance grecs comme garanties dans le cadre des opérations de crédit de l’Eurosystème.
30 Le 5 mars 2012, la BCE a adopté la décision 2012/153/UE relative à l’éligibilité des titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique dans le cadre de l’offre d’échange d’obligations par la République hellénique (BCE/2012/3) (JO L 77, p. 19).
31 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2012/153, « [l]’utilisation, comme garanties pour les opérations de crédit de l’Eurosystème, de titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique qui ne remplissent pas les exigences minimales de l’Eurosystème en matière de seuils de qualité du crédit […], mais qui remplissent les autres critères d’éligibilité mentionnés [dans la documentation générale], est subordonnée à la fourniture d’un rehaussement de crédit par la République hellénique aux [banques centrales nationales] sous la forme d’un programme de rachat ». L’article 1er, paragraphe 2, de la décision 2012/153 prévoit que « [l]es titres de créance visés au paragraphe 1 restent éligibles pour la durée du rehaussement de crédit ». Selon son article 2, ladite décision est entrée en vigueur le 8 mars 2012.
32 Au considérant 2 de la décision 2012/153, il est exposé ce qui suit :
« Le 21 juillet 2011, les chefs d’État ou de gouvernement de la zone euro et les institutions de l’Union ont annoncé des mesures destinées à stabiliser les finances publiques grecques, lesquelles comprenaient leur engagement de pourvoir à un rehaussement de crédit destiné à étayer la qualité des titres de créance négociables émis ou garantis par la République hellénique. Le conseil des gouverneurs a décidé que ledit rehaussement de crédit d[evait] être fourni par la République hellénique au profit des banques centrales nationales [...] »
33 Selon le considérant 3 de ladite décision :
« Le conseil des gouverneurs a décidé qu’il conv[enait] de suspendre le seuil de qualité du crédit de l’Eurosystème en ce qui concern[ait] les titres de créance négociables émis ou totalement garantis par la République hellénique qui [étaient] couverts par le rehaussement de crédit. »
34 En vertu de l’article 2 de la décision 2012/153, celle-ci est entrée en vigueur le 8 mars 2012.
35 Par décision 2012/433, la BCE a abrogé la décision 2012/153 avec effet au 25 juillet 2012 (articles 1er et 2).
36 Au considérant 3 de ladite décision, il est indiqué ce qui suit :
« Dans le cadre de l’offre d’échange d’obligations faite par la République hellénique aux détenteurs de titres de créance négociables émis ou garantis par le gouvernement hellénique, un rehaussement de crédit, sous la forme d’un programme de rachat, destiné à étayer la qualité des titres de créance négociables émis ou garantis par la République hellénique a été fourni, le 24 février 2012, au profit des banques centrales nationales. »
37 À la suite d’une décision du conseil des gouverneurs de la BCE, celle-ci a publié, le 6 septembre 2012, sous l’intitulé « 6 septembre 2012 – Caractéristiques techniques des opérations monétaires sur titres », le communiqué de presse suivant :
« Comme annoncé le 2 août 2012, le conseil des gouverneurs de la [BCE] a pris ce jour des décisions concernant un certain nombre de caractéristiques techniques relatives aux opérations monétaires sur titres de l’Eurosystème sur les marchés secondaires de la dette souveraine, destinées à préserver une transmission appropriée de la politique monétaire ainsi que l’unicité de la politique monétaire. Ces opérations seront dénommées opérations monétaires sur titres (Outright Monetary Transactions – OMT) et seront conduites conformément au cadre suivant :
Conditionnalité
Une condition nécessaire des opérations monétaires sur titres a trait à la conditionnalité stricte et effective attachée à un programme approprié du Fonds européen de stabilité financière/Mécanisme européen de stabilité (FESF/MES). Ces programmes peuvent revêtir la forme d’un programme complet d’ajustement macroéconomique ou d’un programme de précaution (ligne de crédit assortie de conditions renforcées – Enhanced Conditions Credit Line) du FESF/MES, sous réserve qu’ils prévoient la possibilité pour le FESF/MES d’acheter des titres sur le marché primaire. La participation du FMI doit également être recherchée pour la définition de la conditionnalité spécifique à chaque pays et le suivi d’un tel programme.
Le Conseil des gouverneurs envisagera la possibilité de mener des opérations monétaires sur titres dans la mesure où elles sont justifiées du point de vue de la politique monétaire, sous réserve que la conditionnalité du programme soit intégralement respectée, et les suspendra dès qu’elles auront atteint leur objectif ou en cas de non-respect du programme d’ajustement macroéconomique ou du programme de précaution.
À l’issue d’un examen approfondi, il sera laissé à l’entière discrétion du conseil des gouverneurs de décider du début, de la poursuite et de la suspension des opérations monétaires sur titres, en agissant conformément à son mandat de politique monétaire.
Champ couvert
Les opérations monétaires sur titres seront envisagées pour les cas futurs de programmes d’ajustement macroéconomique ou de programmes de précaution du FESF/MES, comme indiqué précédemment. Elles peuvent également être envisagées pour les États membres appliquant déjà un programme d’ajustement macroéconomique, lorsqu’ils auront regagné accès au marché obligataire.
Les transactions seront concentrées sur la partie courte de la courbe des rendements, et notamment sur les obligations souveraines d’une durée comprise entre un et trois ans.
Aucune limite quantitative n’est fixée au préalable concernant le montant des opérations monétaires sur titres.
Traitement des créanciers
L’Eurosystème entend préciser dans l’acte juridique concernant les opérations monétaires sur titres qu’il accepte le même traitement (pari passu) que les créanciers privés ou autres en ce qui concerne les obligations émises par les pays de la zone euro et acquises par l’Eurosystème par le biais d’opérations monétaires sur titres, conformément aux conditions attachées à ces obligations.
[...] »
Procédure et conclusions des parties
38 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 février 2013, les requérants ont introduit le présent recours.
39 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 27 mai 2013, Nausicaa Anadyomène SAS, société établie à Paris (France) et ayant pour objet social l’acquisition, la gestion pour son compte propre et la valorisation de créances obligataires, a demandé à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions des requérants et à ce que lui soient communiqués tous les actes de procédure dans le cadre du présent litige, à l’exception des documents jugés confidentiels.
40 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 juin 2013, les requérants ont demandé à ce qu’il plaise au Tribunal d’autoriser Nausicaa Anadyomène à intervenir au soutien de leurs conclusions ainsi que de lui communiquer tous les actes de procédure dans le cadre du présent litige.
41 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 21 juin 2013, la BCE a conclu au rejet de la demande d’intervention de Nausicaa Anadyomène au motif que, notamment, elle ne justifiait pas d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige au sens de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et à ce que le Tribunal la condamne à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la BCE.
42 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
43 Par ordonnance du 13 décembre 2013, rectifiée sur demande de la BCE par ordonnance du 14 février 2014, le président de la quatrième chambre du Tribunal a rejeté la demande d’intervention de Nausicaa Anadyomène et l’a condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la BCE afférents à la demande d’intervention.
44 Par ordonnance du 25 juin 2014, Accorinti e.a./BCE (T‑224/12, EU:T:2014:611), le Tribunal a rejeté le recours en annulation formé par certains des requérants contre la décision 2012/153 comme irrecevable.
45 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (quatrième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale.
46 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 25 février 2015.
47 Les requérants concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– déclarer le recours recevable ;
– reconnaître la responsabilité de la BCE au titre de l’article 340 TFUE ;
– condamner la BCE à réparer le dommage qui leur a été causé pour un montant d’au moins 12 504 614,98 euros, à savoir dans la mesure indiquée pour chacun d’entre eux aux points 68 à 72 de la requête, ou tout autre montant jugé juste et équitable, sous réserve de précision en cours d’instance, y compris les intérêts « légaux et moratoires » sur ces montants ;
– à titre subsidiaire, condamner la BCE à réparer le dommage qui leur a été causé pour un montant d’au moins 3 668 020,39 euros, à savoir dans la mesure indiquée pour chacun d’entre eux aux points 74 à 76 de la requête, ou tout autre montant jugé juste et équitable, sous réserve de précision en cours d’instance, y compris les intérêts « légaux et moratoires » sur ces montants ;
– à titre plus subsidiaire, condamner la BCE à réparer le dommage qui leur a été causé pour un montant d’au moins 2 667 651,19 euros, à savoir dans la mesure indiquée pour chacun d’entre eux aux points 77 et 78 de la requête, ou tout autre montant jugé juste et équitable, sous réserve de précision en cours d’instance, y compris les intérêts « légaux et moratoires » sur ces montants ;
– à titre encore plus subsidiaire, condamner la BCE à réparer le dommage qui leur a été causé par son comportement licite ou sans faute pour un montant jugé juste et équitable ;
– condamner la BCE aux dépens.
48 La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme irrecevable ou non fondé ;
– condamner les requérants aux dépens.
En droit
1. Sur la responsabilité non contractuelle de la BCE du fait d’un acte illicite
Sur la recevabilité
49 La BCE estime que le recours est irrecevable, dès lors que, d’une part, la requête ne répond pas aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal du 2 mai 1991 et, d’autre part, au moment de son dépôt, la procédure dans l’affaire T‑224/12, qui ne concernait que certains des requérants parties à la présente procédure, était pendante devant le Tribunal. En outre, le présent recours en indemnité viserait à contourner l’irrecevabilité des demandes d’annulation ayant pour objet les mêmes illégalités et tendant aux mêmes fins pécuniaires.
50 Eu égard aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, le recours serait irrecevable concernant tant les illégalités alléguées que le préjudice prétendument subi, y compris leur quantification. La requête ne préciserait pas à suffisance les raisons pour lesquelles le PSI, en tant que résultat de la loi hellénique n° 4050/2012, pourrait engager la responsabilité de la BCE, celle-ci n’ayant joué qu’un rôle consultatif dans ce contexte et n’ayant pas pu causer, ne fût-ce qu’indirectement, le préjudice allégué. En outre, la quantification dudit préjudice dans la requête ne serait pas étayée par des éléments de preuve suffisants. Les relevés bancaires annexés à la requête ne répondraient pas à ces exigences, ces annexes ne contenant pas de références expresses et précises aux requérants concernés.
51 Selon la BCE, dans la requête, les prétendus comportements illégaux et leur lien de causalité avec le préjudice allégué ne sont pas étayés par des éléments probants suffisants. À l’appui des prétendues « déclarations rassurantes » émanant de représentants de la BCE, les requérants se seraient limités, dans la requête, à faire une allusion générale à divers articles de presse et à d’autres documents joints en annexe. Il en irait de même des violations alléguées des principes de sécurité juridique et de proportionnalité ainsi que du prétendu détournement de pouvoir, y compris la manière dont le rôle seulement consultatif de la BCE aurait pu donner lieu à de telles illégalités. Les requérants n’expliqueraient pas non plus, dans la requête, la manière dont l’accord d’échange du 15 février 2012 et d’autres comportements adoptés par la BCE auraient pu contribuer à la genèse du préjudice allégué qui serait intégralement imputable à la mise en œuvre de la loi hellénique n° 4050/2012. En outre, les requérants n’identifieraient, dans la requête, aucun comportement spécifique de la BCE qui aurait pu priver les députés du Parlement hellénique de leur indépendance politique et de leur pouvoir de décision souverain. Les requérants auraient également omis de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la décision 2012/153, qui n’est intervenue qu’après la décision de la République hellénique de recourir au PSI, et le préjudice subi. Enfin, les requérants resteraient en défaut de présenter, dans la requête, les éléments essentiels justifiant la quantification du préjudice prétendument subi, dont la date à laquelle et le prix auquel ils ont acheté les titres de créance grecs affectés, leur échéance initiale, les caractéristiques spécifiques des coupons desdits titres, les taux de décote appliqués individuellement pour réduire le montant du paiement des nouveaux coupons et, enfin, « l’évaluation attribuée par l’investisseur aux 15 % de titres du FESF avec une échéance à un an et deux ans, et aux garanties indexées sur le PIB et octroyés en échange ».
52 Les requérants contestent les arguments de la BCE et considèrent que leur recours est recevable.
53 S’agissant de l’argument principal de la BCE, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour, lu conjointement avec l’article 53, premier alinéa, dudit statut et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, toute requête doit contenir l’indication de l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Plus particulièrement, pour satisfaire à ces exigences, une requête tendant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le préjudice qu’il prétend avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce préjudice (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, Rec, EU:T:2010:54, point 132 et jurisprudence citée).
54 En l’espèce, la BCE ne saurait faire valoir que la requête ne satisfait pas à ces exigences de forme, son texte exposant à suffisance les éléments de fait et de droit permettant d’identifier le comportement qui lui est reproché, les raisons pour lesquelles les requérants estiment qu’il existe un lien de causalité entre ce comportement et les préjudices qu’ils prétendent avoir subis ainsi que la nature et l’étendue de ces préjudices. En réalité, l’argumentation de la BCE revient à contester, sous couvert de l’appréciation de la recevabilité du recours au regard de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991, le bien-fondé des demandes indemnitaires, notamment quant à l’existence d’un lien de causalité et d’un dommage, dont les différents éléments constitutifs se trouvent toutefois suffisamment exposés dans la requête, sous un titre séparé, intitulé « Responsabilité de la BCE au titre des articles 268 [TFUE] et 340 TFUE ».
55 En premier lieu, les requérants se fondent sur plusieurs comportements illégaux qu’ils attribuent à la BCE, d’abord, résumés au point 32 de la requête et, ensuite, développés de manière plus détaillée, à savoir, premièrement, aux points 33 à 35 pour ce qui est de la violation du principe de protection de la confiance légitime, deuxièmement, aux points 36 et 37 s’agissant de la violation du principe d’égalité de traitement des créanciers, troisièmement, aux points 38 et 39 concernant le détournement de pouvoir et l’atteinte aux principes de proportionnalité, de cohérence et de rationalité, et, quatrièmement, aux points 40 et 41 s’agissant de la violation des articles 123 TFUE et 127 TFUE et de l’article 21 des statuts.
56 En deuxième lieu, aux points 45 et suivants de la requête, les requérants précisent la nature et l’étendue des préjudices allégués qui, selon eux, résultent de ces comportements illégaux, y compris l’existence d’un lien de causalité entre ces éléments. Ainsi, au point 48 de la requête, il est exposé que le « dommage résultant de la violation [du principe d’]égalité de traitement [...] par la BCE [...] a [...] frappé de manière disproportionnée un groupe restreint et clairement défini d’épargnants/créanciers, qui détenaient au maximum 6 % de la dette grecque, tandis que la BCE et les [banques centrales nationales] en détenaient 22 % ». Aux points 49 à 52 de la requête, les requérants attribuent la perte de valeur de 75 % de leurs titres de créance grecs dans le cadre du PSI, à tout le moins pour partie, à la prétendue violation, à leur détriment, par la BCE du principe d’égalité de traitement, notamment, par la conclusion de l’accord d’échange du 15 février 2012 – celui-ci excluant une participation de la BCE et des banques centrales nationales à la restructuration de la dette publique grecque – et par l’adoption de la décision 2012/153. Par ailleurs, aux points 54 et suivants de la requête, les requérants abordent expressément la question du lien de causalité entre le dommage subi et le comportement illégal reproché à la BCE en procédant à une analyse contrefactuelle qui tient compte tant de la situation hypothétique en l’absence dudit comportement que de la question de savoir si la loi hellénique n° 4050/2012 pouvait rompre ce lien de causalité, ce que les requérants contestent. À cet égard, il est précisé, notamment, au point 56 de la requête, que, « [s]i la BCE et les [banques centrales nationales] n’avaient pas décidé unilatéralement, de manière discriminatoire et illégalement, de se placer en dehors de la restructuration de la dette [publique] grecque, le dommage causé à la situation patrimoniale des investisseurs ne se serait pas produit ou serait en tout cas moins important et moins lourd, car la répartition des pertes et de la réduction de valeur des obligations grecques aurait nécessairement été allégée en proportion des créances détenues en portefeuille par la BCE et les [banques centrales nationales], qui ont cependant été [échangées] au préalable [...] ».
57 En troisième lieu, aux points 68 et suivants de la requête, les requérants décrivent l’étendue des dommages qu’ils ont prétendument subis en les chiffrant concrètement. À cet égard, l’argument de la BCE selon lequel une quantification correcte desdits dommages aurait supposé de fournir des éléments d’information supplémentaires ne saurait infirmer cette conclusion, dès lors qu’une telle quantification – et moins encore son caractère « correct » en tant que question de fond – ne figure pas parmi les exigences de forme indispensables ou de recevabilité d’un recours en indemnité (voir arrêt du 16 septembre 2013, ATC e.a./Commission, T‑333/10, Rec, EU:T:2013:451, points 198 à 201 et jurisprudence citée).
58 Il en résulte que les développements dans la requête elle-même sont suffisamment clairs et précis pour permettre à la BCE de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, ce qui est confirmé par le contenu même du mémoire en défense, notamment, en ce qui concerne l’absence du bien-fondé du recours en indemnité. Il convient d’en conclure que le texte de la requête expose, de manière suffisante, cohérente et compréhensible, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde le présent recours pour satisfaire aux exigences de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du 2 mai 1991.
59 La BCE n’est pas non plus fondée à invoquer, à titre subsidiaire, l’irrecevabilité du recours en indemnité pour cause de litispendance, dans la mesure où celui-ci se fonde sur l’illégalité de la décision 2012/153, attaquée par certains des requérants dans le cadre de l’affaire T‑224/12, ou pour avoir introduit ledit recours aux seules fins de contourner les conditions de recevabilité du recours en annulation.
60 D’abord, est dépourvue de pertinence la jurisprudence concernant la contestation du refus d’octroi d’un concours financier communautaire (ordonnance du 26 octobre 1995, Pevasa et Inpesca/Commission, C‑199/94 P et C‑200/94 P, Rec, EU:C:1995:360, point 27, et arrêt du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, Rec, EU:T:2001:42, points 76 et 77) que la BCE invoque au soutien de son argument. À la différence de la situation ayant donné lieu à ladite jurisprudence, en l’espèce, les requérants ne cherchent pas à obtenir, par leur recours en indemnité, un résultat comparable à celui recherché par leur recours en annulation dans l’affaire T‑224/12. Ce recours ne visait que l’annulation de la décision 2012/153 sans pour autant poursuivre un objectif pécuniaire. Par ailleurs, ledit recours en annulation ayant été formé dans le délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, un contournement, au sens de cette jurisprudence, dudit délai par un recours en indemnité était exclu d’emblée. En effet, ce n’est qu’à titre exceptionnel et pour garantir que ce délai ne soit pas contourné, que la jurisprudence a déclaré une demande indemnitaire irrecevable, à savoir lorsqu’elle a été introduite conjointement avec une demande en annulation, au motif que la demande indemnitaire visait, en réalité, le retrait d’une décision individuelle destinée au requérant et devenue définitive et qu’elle aurait eu pour effet, si elle avait été accueillie, d’annihiler les effets juridiques de cette décision (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2002, Astipesca/Commission, T‑180/00, Rec, EU:T:2002:249, point 139, et du 3 avril 2003, Vieira e.a./Commission, T‑44/01, T‑119/01 et T‑126/01, Rec, EU:T:2003:98, point 213).
61 Ensuite, il importe de souligner que le recours en indemnité constitue une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et étant subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique. Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union (voir arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, Rec, EU:C:2004:174, point 59 et jurisprudence citée ; arrêts du 27 novembre 2007, Pitsiorlas/Conseil et BCE, T‑3/00 et T‑337/04, Rec, EU:T:2007:357, point 283, et du 3 mars 2010, Artegodan/Commission, T‑429/05, Rec, EU:T:2010:60, point 50). D’une part, cette autonomie du recours en indemnité ne saurait être remise en cause par le seul fait qu’une partie requérante décide d’introduire des recours en annulation et en indemnité successivement. D’autre part, l’irrecevabilité d’un recours en annulation n’entraîne pas celle d’un recours en indemnité introduit postérieurement au seul motif que ces recours reposent sur des moyens d’illégalité similaires, voire identiques. En effet, une telle interprétation irait à l’encontre du principe même de l’autonomie des voies de recours et, partant, priverait l’article 268 TFUE, lu conjointement avec l’article 340, troisième alinéa, TFUE, de son effet utile.
62 Enfin, pour autant que la BCE entende néanmoins invoquer un risque de contournement de procédure ou d’abus d’une voie de recours, il suffit, d’une part, de rappeler le caractère exceptionnel de la jurisprudence citée au point 60 ci-dessus, qui est, dès lors, d’application stricte [voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2004, Cantina sociale di Dolianova e.a./Commission, T‑166/98, Rec, EU:T:2004:337, point 122 et jurisprudence citée, non infirmé sur ce point par l’arrêt du 17 juillet 2008, Commission/Cantina sociale di Dolianova e.a., C‑51/05 P, Rec, EU:C:2008:409, point 63 ; voir également, en ce sens, arrêt du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, Rec, EU:C:2007:226, point 32], et, d’autre part, de constater que, en l’espèce, par leur recours en indemnité, les requérants ne cherchent pas à voir supprimer les actes litigieux, mais à obtenir une indemnisation du dommage résultant prétendument de leur adoption ou de leur mise en œuvre.
63 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la BCE.
Sur le fond
Sur les conditions d’engagement par la BCE de la responsabilité de l’Union au titre des articles 268 TFUE et 340 TFUE
64 Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 340, troisième alinéa, TFUE, la BCE doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par elle-même ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.
65 Il ressort d’une jurisprudence constante, applicable mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle de la BCE prévue à l’article 340, troisième alinéa, TFUE, que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses institutions ou de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions présentant un caractère cumulatif, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution ou à l’organe de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêts du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, Rec, EU:C:2006:708, point 26 et jurisprudence citée, et Arcelor/Parlement et Conseil, point 53 supra, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).
66 Étant donné le caractère cumulatif de ces conditions, le recours doit être rejeté dans son ensemble lorsqu’une seule de ces conditions n’est pas remplie (voir arrêt Arcelor/Parlement et Conseil, point 53 supra, EU:T:2010:54, point 140 et jurisprudence citée).
67 S’agissant de la première condition, relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec, EU:C:2000:361, point 42). Le critère décisif permettant de considérer qu’une violation est suffisamment caractérisée consiste en la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. C’est seulement lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, que la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec, EU:C:2002:736, point 54 ; Arcelor/Parlement et Conseil, point 53 supra, EU:T:2010:54, point 141, et ATC e.a./Commission, point 57 supra, EU:T:2013:451, point 62).
68 À cet égard, il y a lieu de préciser que les comportements contestés de la BCE sont intervenus dans le cadre des missions qui lui sont imparties aux fins de la définition et de la mise en œuvre de la politique monétaire de l’Union, au titre des articles 127 TFUE et 282 TFUE et de l’article 18 des statuts, notamment, au moyen de son intervention sur les marchés de capitaux et de sa gestion d’opérations de crédit. Ces dispositions confèrent à la BCE un large pouvoir d’appréciation, dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social ainsi que de situations soumises à des évolutions rapides, qui doivent être effectuées dans le contexte de l’Eurosystème, voire de l’Union dans son ensemble. Ainsi, une éventuelle violation suffisamment caractérisée des règles de droit en cause doit reposer sur une méconnaissance manifeste et grave des limites du large pouvoir d’appréciation dont la BCE dispose dans l’exercice de ses compétences en matière de politique monétaire. Cela est d’autant plus vrai que l’exercice de ce pouvoir d’appréciation implique la nécessité pour la BCE, d’une part, d’anticiper et d’évaluer des évolutions économiques de nature complexe et incertaine, telles que l’évolution des marchés des capitaux, de la masse monétaire et du taux d’inflation, qui affectent le bon fonctionnement de l’Eurosystème et des systèmes de paiement et de crédit, et, d’autre part, de procéder à des choix d’ordres politique, économique et social exigeant la mise en balance et l’arbitrage entre les différents objectifs visés à l’article 127, paragraphe 1, TFUE, dont l’objectif principal est le maintien de la stabilité des prix (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Gauweiler e.a., C‑62/14, Rec, EU:C:2015:7, point 111 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens et par analogie, arrêts Arcelor/Parlement et Conseil, point 53 supra, EU:T:2010:54, point 143 et jurisprudence citée, et du 16 décembre 2011, Enviro Tech Europe et Enviro Tech International/Commission, T‑291/04, Rec, EU:T:2011:760, point 125 et jurisprudence citée).
69 Enfin, s’agissant de l’activité normative des institutions, en ce compris l’adoption par la BCE d’actes de portée générale, tels que la décision 2012/153, il a été jugé que la conception restrictive de la responsabilité de l’Union du fait de l’exercice desdites activités normatives s’explique par la considération que, d’une part, l’exercice de la fonction législative, même là où il existe un contrôle juridictionnel de la légalité des actes, ne doit pas être entravé par la perspective d’actions en dommages-intérêts chaque fois que l’intérêt général de l’Union commande de prendre des mesures normatives susceptibles de porter atteinte aux intérêts des particuliers et, d’autre part, dans un contexte normatif caractérisé par l’existence d’un large pouvoir d’appréciation, indispensable à la mise en œuvre d’une politique de l’Union, la responsabilité de l’Union ne peut être engagée que si l’institution concernée a méconnu de manière manifeste et grave les limites qui s’imposent à l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, Rec, EU:C:2008:476, point 174).
70 Il convient d’apprécier le bien-fondé des moyens d’illégalité invoqués par les requérants à la lumière de ces critères.
Sur le comportement prétendument illégal de la BCE
– Observations liminaires
71 Selon les requérants, la BCE a commis plusieurs illégalités susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union, à savoir, premièrement, la conclusion de l’accord d’échange du 15 février 2012 avec la République hellénique, dont les requérants demandent au Tribunal qu’il ordonne à la BCE la production, deuxièmement, le refus de la BCE de participer à la restructuration de la dette publique grecque, qui aurait été imposée à la République hellénique pour obtenir de nouvelles aides financières et, troisièmement, l’adoption par la BCE de la décision 2012/153 subordonnant l’éligibilité des titres de créances grecs en tant que garanties à un programme de rachat octroyé aux seules banques centrales nationales, alors même que ces titres ne satisfaisaient pas aux conditions de qualité du crédit.
72 La BCE conteste avoir violé une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Les règles prétendument violées auraient trait à la position de débiteur de la République hellénique, la BCE s’étant limitée à exprimer son point de vue sur l’opportunité ou sur l’absence d’opportunité du PSI et n’ayant joué qu’un rôle consultatif au sein de la « troïka ». La BCE précise ne pas entretenir un quelconque rapport juridique ou financier avec les requérants. Elle ne serait ni débitrice ni émettrice des titres de créance détenus par les requérants, mais serait elle-même créancière de la République hellénique. En outre, elle n’aurait pas agi « directement à l’encontre des requérants », mais en assumant les responsabilités que le traité FUE, notamment son article 127, lui a attribuées dans la gestion de la crise de la dette publique grecque. Dès lors, les règles invoquées par les requérants ne s’appliqueraient pas au rôle qu’elle a joué dans le cadre du PSI et ne leur conféreraient pas de droits les protégeant.
– Sur le moyen tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime
73 Dans le cadre du premier moyen, les requérants soutiennent que les comportements visés au point 71 ci-dessus sont constitutifs d’une violation du principe de protection de la confiance légitime des détenteurs de titres de créance grecs, parce que contraires aux assurances données par les présidents successifs de la BCE, MM. Trichet et Draghi, ainsi que par des membres de son directoire. Aux termes de ces déclarations, premièrement, les titres de créance grecs détenus par la BCE ne feraient pas l’objet d’un échange « volontaire », deuxièmement, il n’aurait existé aucun risque de défaut de paiement de la République hellénique, troisièmement, une restructuration forcée de la dette publique grecque ne serait pas possible, quatrièmement, la participation des créanciers privés à une telle restructuration ne serait envisageable que sur une base volontaire, cinquièmement, une réduction de valeur nominale desdits titres serait impossible et, sixièmement, si une telle situation devait néanmoins se produire, les titres de créance grecs ne seraient jamais acceptés en tant que garanties. Selon les requérants, ces assurances précises, inconditionnelles et concordantes émanant de sources autorisées et fiables étaient de nature à faire naître des espérances fondées dans l’esprit des justiciables, qui ont été frustrées par les comportements illégaux ultérieurs de la BCE, dont l’accord d’échange du 15 février 2012. Dans la réplique, les requérants précisent que la passation par la BCE d’un accord d’échange secret et discriminatoire, en situation de conflit d’intérêts du fait de son propre statut de créancier de la République hellénique, pour échapper à la restructuration de la dette publique grecque et pour s’octroyer le rang d’un créancier privilégié est contraire à l’article 5 TUE et au principe de sécurité juridique. Dans le cadre de cette restructuration, le rôle de la BCE ne se serait pas limité à une activité purement consultative, dès lors qu’elle y aurait participé en tant que membre et acteur clé de la « troïka » avec des pouvoirs décisionnels et de signature propres.
74 La BCE rétorque essentiellement que, au contraire, ses communiqués de presse et les déclarations publiques de ses agents auraient clairement mis en évidence et averti que, d’une part, le PSI ne relevait pas des compétences de la BCE et que les décisions le concernant ont été prises par les gouvernements souverains et, d’autre part, la crise de la dette souveraine en Europe présentait des risques significatifs potentiels liés à des investissements dans des titres de créance grecs. Une publication de la BCE du 6 juin 2011 aurait expressément abordé la question des conséquences d’un PSI et aurait mis en garde contre les inconvénients pouvant résulter d’une mise en œuvre « imprudente et automatique » de cet instrument. Dès lors, les documents pertinents démontreraient que la BCE n’a pas joué de rôle déterminant ou décisionnel dans le cadre de l’adoption du PSI et qu’aucun des points de vue exprimés par elle dans les limites de son mandat n’aurait pu être compris par les requérants comme une garantie qu’un tel PSI ne serait pas adopté. Tout lecteur prudent et avisé desdits documents aurait dû savoir qu’un PSI constituait une des options possibles et que son adoption relevait exclusivement de la responsabilité juridique et politique de la République hellénique. En l’absence de déclarations excluant sans équivoque la possibilité d’un PSI, il n’aurait existé aucune assurance précise, inconditionnelle et concordante en ce sens de la part de la BCE.
75 Il ressort d’une jurisprudence constante que le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées. Le droit de se prévaloir de ce principe suppose néanmoins la réunion de trois conditions cumulatives. Premièrement, des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, doivent avoir été fournies à l’intéressé par l’administration de l’Union. Deuxièmement, ces assurances doivent être de nature à faire naître une attente légitime dans l’esprit de celui auquel elles s’adressent. Troisièmement, les assurances données doivent être conformes aux normes applicables (voir, en ce sens, arrêts du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, Rec, EU:C:2011:153, points 71 et 72 ; du 14 mars 2013, Agrargenossenschaft Neuzelle, C‑545/11, Rec, EU:C:2013:169, points 23 à 25 et jurisprudence citée ; du 18 juin 2010, Luxembourg/Commission, T‑549/08, Rec, EU:T:2010:244, point 71, et du 27 septembre 2012, Applied Microengineering/Commission, T‑387/09, Rec, EU:T:2012:501, points 57 et 58 et jurisprudence citée).
76 En outre, il y a lieu de rappeler que, si la possibilité de se prévaloir de la protection de la confiance légitime, en tant que principe fondamental du droit de l’Union, est ouverte à tout opérateur économique auprès duquel une institution a fait naître des espérances fondées, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée. De plus, les opérateurs économiques ne peuvent placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union, et ce spécialement dans un domaine comme celui de la politique monétaire, dont l’objet comporte une constante adaptation en fonction des variations de la situation économique (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 10 septembre 2009, Plantanol, C‑201/08, Rec, EU:C:2009:539, point 53 et jurisprudence citée ; AJD Tuna, point 75 supra, EU:C:2011:153, point 73 ; Agrargenossenschaft Neuzelle, point 75 supra, EU:C:2013:169, point 26, et du 19 octobre 2005, Cofradía de pescadores « San Pedro de Bermeo » e.a./Conseil, T‑415/03, Rec, EU:T:2005:365, point 78).
77 Ainsi, il y a lieu d’apprécier si les communiqués de presse et les déclarations publiques de certains membres de la BCE constituaient des assurances précises, inconditionnelles et concordantes émanant de sources autorisées et fiables qui auraient pu créer des attentes légitimes dans l’esprit des requérants à ce que la valeur de leurs titres de créance grecs ne soit pas soumise à une décote obligatoire.
78 À cet égard, il convient de préciser que les communiqués de presse et déclarations publiques produits par les requérants présentent des objets et des contenus variés. D’une part, il s’agit, en substance, de déclarations faites entre avril et juin 2011 par le président de la BCE à l’époque, M. Trichet, et par M. Draghi, son successeur désigné, qui exprimaient, notamment, l’opposition déclarée et réitérée de la BCE à une restructuration de la dette publique grecque et à un défaut sélectif de la République hellénique. D’autre part, les requérants invoquent une déclaration publique de M. Bini Smaghi, membre du conseil des gouverneurs de la BCE, du 16 juin 2011, et un discours tenu par lui, le 15 septembre 2010, portant sur l’« amélioration du cadre de gouvernance économique et de stabilité de l’Union, en particulier dans la zone euro ».
79 S’agissant des déclarations de MM. Draghi et Trichet, force est de constater que, eu égard, premièrement, à leur caractère général, deuxièmement, à l’absence de compétence de la BCE – correctement soulignée dans lesdites déclarations – pour décider d’une éventuelle restructuration de la dette publique d’un État membre affecté par un défaut de paiement sélectif, et, troisièmement, à l’incertitude régnant sur les marchés financiers à l’époque, surtout, concernant l’évolution future de la situation financière de la République hellénique, ces déclarations ne pouvaient être qualifiées d’assurances précises et inconditionnelles émanant de sources autorisées et fiables, et ce moins encore quant à l’éventuelle non-adoption par cet État membre d’une décision portant sur une telle restructuration. En effet, bien que la BCE fût associée à la surveillance de l’évolution de la situation financière de la République hellénique dans le cadre de la « troïka », formée par elle, le FMI et la Commission, elle n’était pas compétente pour décider d’une telle mesure, qui relève, à titre principal, sinon exclusif, du pouvoir souverain et de l’autorité budgétaire de l’État membre concerné, notamment de son pouvoir législatif, et, dans une certaine mesure, de la coordination de la politique économique par les États membres au titre des articles 120 TFUE et suivants. Dans ces circonstances, l’opposition à une telle restructuration, telle qu’exprimée itérativement en public par MM. Trichet et Draghi dans un climat d’incertitude croissante dans l’esprit des acteurs des marchés financiers, devait être interprétée comme ayant une portée purement politico-économique. En particulier, en procédant ainsi, leurs auteurs visaient à mettre lesdits acteurs en garde contre, d’une part, une détérioration supplémentaire de la situation économique à l’époque, voire une éventuelle insolvabilité de la République hellénique, dont les titres potentiellement en défaut ne pourraient plus être acceptés par la BCE et par les banques centrales nationales comme sûretés dans le cadre d’opérations de crédit de l’Eurosystème (voir la décision 2012/133, adoptée ultérieurement) et, d’autre part, les risques qu’une telle évolution pourrait comporter pour la stabilité du système financier et pour le fonctionnement de l’Eurosystème dans son ensemble. Il y a lieu d’ajouter que cette opposition des présidents successifs de la BCE était assortie de la précision selon laquelle, au cas où un tel défaut devait néanmoins se produire et les États membres concernés décidaient d’une restructuration de la dette publique, la BCE exigerait que cette restructuration soit appuyée par des garanties suffisantes afin de protéger son intégrité et de maintenir la stabilité et la confiance des marchés financiers. Il en résulte que, ce faisant, la BCE n’a pas non plus nourri d’attentes légitimes quant au maintien de son opposition en cas de décision contraire des États membres concernés de procéder à une telle restructuration, voire quant à son éventuelle capacité juridique – inexistante – à prévenir une telle approche.
80 S’agissant des déclarations de M. Bini Smaghi, il importe de souligner que celui-ci s’est limité à indiquer publiquement que, d’une part, la BCE ne pourrait participer à une « extension de la maturité de la dette grecque », parce que ce serait contraire aux dispositions qui lui sont applicables et, d’autre part, une éventuelle restructuration de la dette publique d’un État membre, si elle devait s’avérer nécessaire, ne serait possible que sur le fondement d’un accord entre créanciers et débiteurs. Dans ce contexte, il a expressément mentionné la possibilité pour les États membres de la zone euro d’adopter des CAC qui rendraient plus aisé pour lesdits créanciers et débiteurs de trouver un accord sur une répartition équitable des charges. Contrairement à ce que font valoir les requérants, ces affirmations n’excluent pas l’éventuelle survenance ou décision d’une restructuration de la dette publique grecque ou d’un défaut de la part de la République hellénique, mais décrivent uniquement la marge de manœuvre restreinte de la BCE dans un tel contexte ainsi que les conditions dans lesquelles une telle restructuration pourrait ou devrait être mise en œuvre. En outre, il ne saurait en être déduit une quelconque assurance précise et inconditionnelle tendant à ce que la BCE s’opposerait finalement à une telle restructuration si elle devait être décidée par les États membres ou par les organes compétents ou qu’elle ne participerait pas, le cas échéant et sous quelque forme que ce soit, à une telle mesure.
81 Par conséquent, en l’espèce, les déclarations publiques des membres de la BCE invoquées par les requérants ne constituent pas des assurances précises, inconditionnelles et concordantes tendant à exclure une éventuelle restructuration de la dette publique grecque et n’émanent pas de sources autorisées et fiables au sens de la jurisprudence, de sorte que le moyen tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime doit être rejeté.
82 À titre surabondant, il convient néanmoins de préciser que, ainsi que le fait valoir la BCE, l’achat par un investisseur de titres de créance d’État constitue, par définition, une transaction comportant un certain risque financier, parce que soumis aux aléas de l’évolution des marchés des capitaux, et que certains des requérants ont même acquis des titres de créance grecs durant la période au cours de laquelle la crise financière de la République hellénique était à son comble. Or, au regard de la situation économique de la République hellénique et des incertitudes la concernant à l’époque, les investisseurs concernés ne sauraient prétendre avoir agi en tant qu’opérateurs économiques prudents et avisés, au sens de la jurisprudence visée au point 76 ci-dessus, pouvant se prévaloir de l’existence d’attentes légitimes. Au contraire, eu égard aux déclarations publiques invoquées par les requérants à l’appui de leurs griefs (voir point 78 ci-dessus), lesdits investisseurs étaient censés connaître la situation économique hautement instable déterminant la fluctuation de la valeur des titres de créance grecs acquis par eux ainsi que le risque non négligeable d’un défaut ne fût-ce que sélectif de la République hellénique. Par ailleurs, ainsi que l’avance à juste titre la BCE, un opérateur économique prudent et avisé ayant eu connaissance de ces déclarations publiques n’aurait pas pu exclure le risque d’une restructuration de la dette publique grecque, compte tenu des divergences de vue régnant à cet égard au sein des États membres de la zone euro et des autres organes impliqués, tels la Commission, le FMI et la BCE.
83 Enfin, dans la mesure où les requérants invoquent également, dans ce contexte, une violation du principe de sécurité juridique, il suffit de relever qu’ils n’ont fait valoir aucun argument supplémentaire et concret indiquant que les agissements de la BCE dans le cadre des antécédents de la restructuration de la dette publique grecque auraient contribué à l’édiction d’une réglementation qui n’aurait pas été suffisamment claire, précise et prévisible dans ses effets (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, Rec, EU:C:2005:362, point 80 et jurisprudence citée), ni permis aux justiciables de connaître à suffisance l’étendue des obligations qu’elle leur impose (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 29 avril 2004, Sudholz, C‑17/01, Rec, EU:C:2004:242, point 34 et jurisprudence citée). Dès lors, ce grief tiré d’une violation du principe de sécurité juridique ne saurait non plus être accueilli.
84 Par conséquent, les requérants n’ont pas démontré l’existence d’une violation par la BCE du principe de protection de la confiance légitime, ni même, dans ce contexte, du principe de sécurité juridique, pouvant engager sa responsabilité non contractuelle.
– Sur le moyen tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement des « créanciers privés » et de la clause pari passu
85 Dans le cadre du deuxième moyen, les requérants invoquent une violation du principe d’égalité de traitement des créanciers privés au sens, notamment, des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la BCE et les banques centrales nationales ayant assuré, moyennant la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012, que les titres de créance grecs détenus dans leurs portefeuilles respectifs échappent à la restructuration de la dette publique grecque en application des CAC et soient immunisés contre une réduction de leur valeur. En adoptant les comportements visés au point 71 ci-dessus, sans tenir compte de la situation patrimoniale des créanciers privés et des épargnants, dont les requérants, la BCE aurait enfreint ce principe. Le principe d’égalité de traitement de tous les créanciers ou épargnants serait également prévu au niveau international en tant que principe coutumier et devrait être qualifié de principe général du droit de l’Union ou de manifestation directe et spéciale du principe général de non-discrimination au titre de l’article 10 TFUE et des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux. La clause dite par condicio creditorum ou pari passu, qui suppose que les créanciers se voient traités de manière égale dans le paiement, indépendamment de leur rang, s’appliquerait donc également à la BCE. Ainsi, dans son communiqué de presse du 6 septembre 2012 concernant le lancement du programme des opérations monétaires sur titres (ci-après les « OMT »), la BCE aurait accepté « le même traitement (pari passu) que les créanciers privés ou autres en ce qui concerne les titres émis par les pays de la zone euro et acquis par l’Eurosystème dans le cadre des [OMT], conformément aux conditions desdits titres ». Dès lors, l’acquisition par la BCE des titres de créance grecs dans le cadre du programme de rachat instauré par la décision 2010/281 ne lui aurait conféré aucun traitement spécial, et elle aurait dû assumer un risque de crédit égal à celui de tout autre investisseur privé ou institutionnel. Les requérants, en leur qualité de détenteur de titres de créances grecs, seraient, à l’instar de la BCE et des banques centrales nationales, des créanciers de droit privé de la République hellénique et le préjudice qu’ils ont subi serait susceptible de causer les mêmes effets systémiques sur l’économie européenne. En raison de l’échange antérieur des titres de créance contenus dans les portefeuilles de la BCE et des banques centrales nationales contre de nouveaux titres, ceux-ci auraient pu échapper « au défaut [de paiement] piloté et masqué » de l’État grec avec pour effet de déclasser les autres titres de créance qui n’ont pas pu profiter d’un tel échange et ont dû faire face à la « capacité de paiement résiduelle » de cet État. La BCE et les banques centrales nationales se seraient ainsi réservé un statut de créancier de « rang privilégié » au détriment du secteur privé, sous prétexte de leur mission de politique monétaire. En outre, par sa décision 2012/153, la BCE aurait subordonné illégalement l’éligibilité des titres de créance grecs à l’octroi en faveur des banques centrales nationales d’un programme de rachat des titres dont la notation est faible dans les opérations de crédit de l’Eurosystème. Les requérants contestent que cette inégalité de traitement soit justifiée objectivement par des intérêts publics ou des dispositions des traités, l’article 127, paragraphe 1, TFUE, l’article 3, paragraphes 3 et 4, TUE et l’article 13 TUE ne prévoyant pas de dérogation de ce type. En tout état de cause, la BCE n’aurait pas étayé en quoi l’accord d’échange du 15 février 2012 et le programme de rachat réservé aux banques centrales nationales relèvent de son pouvoir d’appréciation en matière de politique monétaire, auraient contribué à la stabilité des prix de la zone euro et auraient été proportionnels et nécessaires.
86 La BCE conteste que le principe d’égalité de traitement des créanciers s’applique dans le cadre de clauses contractuelles de droit privé, l’émetteur de titres de créance ayant la faculté, et non l’obligation, de l’incorporer dans la documentation accompagnatrice des titres. Il ne s’agirait pas d’une règle universelle, de droit international public ou de droit constitutionnel commun au niveau des États membres, et moins encore d’un principe général du droit de l’Union, son application dépendant du choix dudit émetteur. Même à supposer que la prétendue obligation de respecter ledit principe soit une règle supérieure de droit de l’Union, elle créerait des obligations juridiques pour le seul émetteur de la dette, à savoir, en l’espèce, l’État grec, et non pour ses créanciers. La BCE conteste en outre être un créancier de la République hellénique qui soit comparable aux requérants, ceux-ci étant des investisseurs recherchant des rendements élevés et ayant effectué un investissement à titre exclusivement privé. En revanche, la BCE aurait acheté des titres de créance grecs sur le marché secondaire des titres dans le seul cadre de l’exercice de son mandat public qui lui était attribué en vertu de l’article 127, paragraphe 1, TFUE, lu conjointement avec l’article 3, paragraphes 3 et 4, TUE et l’article 13, paragraphe 1, TUE, ce qui aurait été réaffirmé dans la déclaration de l’Eurogroupe du 21 février 2012 et dans l’exposé des motifs de la loi hellénique n° 4050/2012. Ainsi, par sa décision 2010/281, dans l’objectif principal de maintenir la stabilité des prix en vertu de l’article 127, paragraphe 1, TFUE, la BCE aurait décidé de lancer un programme temporaire pour les marchés de titres, dans le cadre duquel la BCE et les banques centrales nationales auraient acheté, notamment, des titres émis par la République hellénique. Ces achats auraient eu pour but de maintenir « le bon fonctionnement du mécanisme de transmission de la politique monétaire, qui est essentiel pour assurer la stabilité des prix, et de faciliter la ‘conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme’, en assurant [...] la liquidité des marchés de titres de créance privés et publics de la zone euro [...] », c’est-à-dire pour des motifs très différents de ceux ayant déterminé les décisions d’investissement d’autres créanciers privés. En outre, en l’absence d’exclusion du PSI des titres de créance grecs détenus par les banques centrales de l’Eurosystème, y compris par la Banque centrale hellénique, l’Eurosystème aurait vu affectée son indépendance financière et fonctionnelle au sens de l’article 130 TFUE en voyant atteinte sa capacité à refinancer les établissements de crédit et à intervenir sur les marchés de capitaux en application de l’article 18, paragraphe 1, des statuts. Dès lors, faute de comparabilité des situations en cause, les requérants ne seraient pas fondés à faire valoir l’existence d’un traitement inégal.
87 En premier lieu, le Tribunal estime qu’il convient d’examiner si le comportement incriminé de la BCE constitue une violation du principe d’égalité de traitement, tel que consacré aux articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux (arrêt du 18 juillet 2013, Sky Italia, C‑234/12, Rec, EU:C:2013:496, point 15), que la BCE, en tant qu’institution de l’Union, est tenue de respecter en tant que règle supérieure de droit de l’Union protégeant les particuliers. En effet, le principe général d’égalité de traitement impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié. Le caractère comparable de situations différentes s’apprécie eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent, en outre, être pris en considération les principes et objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, Rec, EU:C:2008:728, points 23, 25 et 26 et jurisprudence citée, et du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil, C‑176/09, Rec, EU:C:2011:290, points 31 et 32 et jurisprudence citée).
88 Or, en l’espèce, les requérants partent d’une prémisse erronée en avançant que tous les particuliers ayant acquis des titres de créance grecs, en tant qu’épargnants ou créanciers « privés » de la République hellénique, d’une part, et la BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème, d’autre part, se trouvaient, au regard des principes et des objectifs des règles pertinentes sur lesquelles les agissements incriminés étaient fondés, dans une situation comparable, voire identique, aux fins de l’application du principe général d’égalité de traitement. Cette argumentation méconnaît en particulier que, en procédant à l’achat de titres de créance grecs, notamment sur le fondement de la décision 2010/281, la BCE et lesdites banques centrales nationales ont agi dans l’exercice de leurs missions fondamentales, en vertu de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, et, notamment, de l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts, dans l’objectif du maintien de la stabilité des prix et de la bonne gestion de la politique monétaire, ainsi que dans les limites dressées par les dispositions de ladite décision (voir considérant 5 de ladite décision).
89 Ainsi, premièrement, le programme d’achat de titres de créance d’État, y compris grecs, instauré par la décision 2010/281, était expressément fondé sur l’article 127, paragraphe 2, premier tiret, TFUE, et, notamment, sur l’article 18, paragraphe 1, des statuts et s’inscrivait, face à la crise financière à laquelle l’État grec était exposé, dans le contexte « des circonstances exceptionnelles prévalant sur les marchés de capitaux, caractérisées par de graves tensions sur certains compartiments de marché qui entrav[ai]ent le mécanisme de transmission de la politique monétaire et, par là, la conduite efficace d’une politique monétaire axée sur la stabilité des prix à moyen terme ». Selon cette décision, ce programme était donc destiné à faire « partie de la politique monétaire unique de l’Eurosystème » pour « remédier au dysfonctionnement des marchés de titres et rétablir un mécanisme approprié de transmission de la politique monétaire » (considérants 2 à 4 de ladite décision). Ces motifs ne sont pas contestés en tant que tels par les requérants qui se limitent à fonder la comparabilité des situations en cause sur la seule circonstance que tant les investisseurs privés que les banques centrales de l’Eurosystème ayant acquis des titres de créance grecs seraient des créanciers de l’État grec disposant de droits égaux.
90 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en effet, en vertu de l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts, « [a]fin d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, la BCE et les banques centrales nationales peuvent », notamment, « intervenir sur les marchés de capitaux [...] en achetant et en vendant ferme (au comptant et à terme) [...] des créances et des titres négociables, libellés en euros ou d’autres monnaies ». Il s’ensuit que le programme de rachat des titres de créance d’État et, partant, l’achat par les banques centrales de l’Eurosystème de tels titres participaient aux missions fondamentales du SEBC au sens de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE, et que, plus concrètement, ces mesures reposaient sur l’habilitation prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts. En outre, il résulte de cette dernière disposition que l’achat par lesdites banques centrales de titres de créance d’État sur le marché secondaire a pour seul objet d’atteindre les objectifs du SEBC et d’accomplir ses missions, ce qui exclut tout motif extérieur à cet objet, notamment l’intention d’obtenir des rendements élevés par des investissements, voire par des transactions à titre spéculatif.
91 Par conséquent, force est de constater que les requérants, en tant qu’investisseurs ou épargnants ayant agi pour leur propre compte et dans leur intérêt exclusivement privé à obtenir un rendement maximal de leurs investissements, se trouvaient dans une situation distincte de celle des banques centrales de l’Eurosystème. Alors même que, en vertu du droit privé applicable, lesdites banques centrales ont acquis, lors de l’achat de titres de créance étatiques, à l’instar des investisseurs privés, le statut de créancier de l’État émetteur et débiteur, ce seul point commun ne saurait justifier de les considérer comme se trouvant dans une situation semblable, voire identique, à celle desdits investisseurs. En effet, une telle approche adoptée du point de vue du seul droit privé ne tiendrait compte ni de l’encadrement juridique de l’opération d’achat desdits titres par les banques centrales ni des objectifs d’intérêt public que celles-ci étaient appelées à poursuivre dans ce contexte en vertu des règles de droit primaire applicables, dont les principes et les objectifs doivent être pris en considération pour apprécier la comparabilité des situations en cause au regard du principe général d’égalité de traitement (voir la jurisprudence citée au point 87 ci-dessus).
92 Il convient donc de conclure que les requérants, en tant qu’investisseurs privés ayant acheté des titres de créance grecs dans leur seul intérêt patrimonial privé, quel que soit le motif précis de leurs décisions d’investissement, se trouvaient dans une situation différente de celle des banques centrales de l’Eurosystème dont la décision d’investissement était exclusivement guidée par des objectifs d’intérêt public, tels que visés à l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE, ainsi que l’article 18, paragraphe 1, premier tiret, des statuts. Ainsi, à défaut de comparabilité des situations en cause, la passation et la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012 ne sauraient constituer une violation du principe d’égalité de traitement.
93 Deuxièmement, les requérants ne sont pas non plus fondés à alléguer, en substance, que les investisseurs privés et les banques centrales de l’Eurosystème seraient dans des situations comparables au regard de l’incidence sur l’économie européenne des effets de la réduction de la valeur de leurs créances. Selon les requérants, les charges imposées aux seuls investisseurs privés dans le cadre de la restructuration de la dette publique grecque seraient « susceptibles de causer les mêmes effets systémiques sur l’économie européenne » qu’une participation égalitaire des banques centrales de l’Eurosystème à ladite restructuration, à laquelle celles-ci se seraient soustraites en passant et en mettant en œuvre l’accord d’échange du 15 février 2012. Même à supposer que, par cet argument, les requérants visent à faire valoir que le PSI et la procédure au titre des CAC étaient de nature à porter lourdement atteinte à la confiance des investisseurs privés et institutionnels dans la valeur intrinsèque des titres de créance grecs et, partant, dans la fiabilité de l’État grec en tant que débiteur – crainte qui était à l’origine de l’opposition initiale de la BCE au défaut sélectif de la République hellénique et à la restructuration partielle de sa dette publique (voir points 78 à 80 ci-dessus) –, ils ont omis de préciser et d’étayer que ces conséquences seraient comparables à celles que devraient subir les banques centrales de l’Eurosystème et qu’elles seraient susceptibles de perturber le fonctionnement dudit système de la même manière. Au contraire, eu égard au montant total en valeur des titres de créance grecs acquis et détenus par lesdites banques centrales, comme souligné par les requérants eux-mêmes, l’éventuelle participation desdites banques à la restructuration de la dette publique d’un État membre de la zone euro, indépendamment de son caractère licite ou non au regard de l’article 123 TFUE (voir point 114 ci-après), aurait risqué d’affecter l’intégrité financière de l’Eurosystème dans son ensemble et, notamment, sa capacité à intervenir sur les marchés de capitaux et à refinancer les établissements de crédit en vertu de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts. À cet égard, il importe de préciser que les titres de créance d’État constituent en même temps des sûretés que ces banques centrales sont normalement censées accepter aux fins d’opérations de crédit au sein de l’Eurosystème et pour maintenir l’accès des établissements de crédits nationaux à des liquidités (voir point 6 de la documentation générale visée au point 4 ci-dessus). Il s’ensuit que doit également être rejeté le grief selon lequel la BCE et les banques centrales nationales de l’Eurosystème se seraient réservé un statut de créancier de « rang privilégié » au détriment du secteur privé, « sous prétexte de leur mission de politique monétaire ».
94 Troisièmement, dans ce contexte, ne saurait prospérer l’argument des requérants selon lequel, par sa décision 2012/153, la BCE aurait subordonné illégalement l’éligibilité des titres de créance grecs à l’octroi en faveur des banques centrales nationales d’un programme de rachat des titres dont la notation est faible dans les opérations de crédit de l’Eurosystème. Pour autant que cet argument vise à faire valoir une inégalité de traitement imputable à la BCE au détriment des investisseurs privés et en particulier des requérants, ceux-ci sont également restés en défaut de préciser et d’étayer qu’ils se trouvaient dans une situation analogue à celle des banques centrales nationales. Ainsi que le Tribunal l’a déjà jugé, en substance, dans son ordonnance Accorinti e.a./BCE, point 44 supra (EU:T:2014:611, points 76 à 78), même si l’obligation pour la République hellénique de fournir un rehaussement de crédit au profit des banques centrales nationales sous la forme d’un programme d’achat trouvait son fondement juridique dans la décision 2012/153, ladite obligation ne visait qu’à garantir le maintien de la possibilité pour lesdites banques centrales d’accepter les titres de créance grecs en tant que sûretés appropriées aux fins d’opérations de crédit de l’Eurosystème au sens de l’article 18, paragraphe 1, second tiret, des statuts, puisque, en l’absence d’un tel rehaussement de crédit, lesdits titres n’auraient plus rempli les exigences minimales de l’Eurosystème en matière de seuils de qualité du crédit en vertu des critères pertinents de la documentation générale. Ladite obligation assurait donc le maintien de la marge de manœuvre des banques centrales de l’Eurosystème au titre des dispositions de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts, et, partant, visait une situation qui n’était pas comparable avec celle dans laquelle se trouvaient les investisseurs privés. En effet, dès lors que ces derniers avaient acquis et détenaient des titres de créance grecs à des fins exclusivement privées, ils se trouvaient dans une situation différente des banques centrales de l’Eurosystème investies des pouvoirs et des devoirs au titre des dispositions précitées. Il en découle que les requérants ne pouvaient réclamer, au titre du principe d’égalité de traitement, le bénéfice analogue d’un programme de rachat de leurs titres de créance par l’État grec.
95 En tout état de cause, ainsi que le Tribunal l’a déjà jugé dans son ordonnance Accorinti e.a./BCE, point 44 supra (EU:T:2014:611, point 85), le rehaussement de crédit ordonné par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2012/153 garantissait le maintien de l’éligibilité de l’ensemble des titres de créance grecs couverts par ledit rehaussement, y compris ceux ayant fait l’objet de la conversion au titre des CAC. Ainsi, ladite décision protégeait ces titres, dont ceux détenus et échangés par les requérants, contre une perte supplémentaire qui aurait pu résulter de la baisse de leur notation, voire de l’insolvabilité de la République hellénique. Il s’ensuit que, sous cet aspect, les requérants ne sont pas non plus fondés à faire valoir une inégalité de traitement à leur détriment.
96 Il en résulte que les requérants ne se trouvaient pas, s’agissant des aspects et des comportements avancés, y compris l’accord d’échange du 15 février 2012 et la décision 2012/153, dans des situations comparables, voire identiques, à celles des banques centrales de l’Eurosystème, qui auraient pu justifier de conclure à l’existence d’une violation du principe d’égalité de traitement.
97 Par conséquent, les requérants n’ont pas démontré une violation par la BCE du principe d’égalité de traitement qui serait susceptible d’engager sa responsabilité non contractuelle.
98 En second lieu, en ce qui concerne les griefs fondés sur la clause pari passu, il convient, premièrement, de relever que l’existence d’une telle règle dans l’ordre juridique de l’Union n’est pas démontrée.
99 À cet égard, force est de constater que la circonstance alléguée par les requérants de ce que le Principles Consultative Group (PCG) ait proposé, dans son rapport intitulé « Principles for Stable Capital Flows and Fair Debt Restructuring in Emerging Markets » de 2010, de reconnaître, en ce qui concerne les « marchés émergents », l’application de la clause pari passu sur le plan international est dépourvue de pertinence quant au point de savoir si une telle règle existe dans l’ordre juridique de l’Union. De même, les requérants ne sauraient non plus utilement se prévaloir du règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO L 160, p. 1). Au contraire, ce règlement a constaté l’existence de divergences considérables à ce sujet dans les ordres juridiques nationaux, y compris concernant le traitement préférentiel des créanciers (considérant 11 du même règlement) et s’est limité à établir des règles de conflit de lois uniformes aux fins, notamment, de coordonner la répartition du produit de la réalisation pour préserver au maximum l’égalité de traitement des créanciers (considérants 21 et 23 dudit règlement).
100 Au demeurant, dans la mesure où une règle imposant le pari passu impliquerait un traitement égalitaire des créanciers sans tenir compte des situations distinctes dans lesquelles se trouvent, notamment, les investisseurs privés, d’une part, et les banques centrales de l’Eurosystème agissant dans l’exercice de leurs missions au titre de l’article 127 TFUE et de l’article 18 des statuts, d’autre part, la reconnaissance d’une telle règle dans l’ordre juridique de l’Union serait susceptible de se heurter au principe d’égalité de traitement, tel que cela est mentionné au point 87 ci-dessus.
101 Deuxièmement et par voie de conséquence, seule son insertion dans le cadre de clauses contractuelles, y compris celles afférentes à l’émission et à la vente de titres de créance d’État, régissant la relation entre émetteur et débiteur et détenteur et créancier d’une obligation est, le cas échéant, susceptible d’attribuer un caractère juridiquement obligatoire à une clause pari passu. Ce caractère obligatoire dépendrait donc d’une décision autonome de l’émetteur des obligations en cause, notamment dans le cadre des conditions générales accompagnant leur émission, de se soumettre à l’application de ladite clause en s’engageant à traiter de manière égalitaire ses créanciers. Comme le soutient correctement la BCE, il en résulte par ailleurs que, en l’espèce, l’émetteur des titres de créance grecs qui est, le cas échéant, susceptible d’être lié par la clause pari passu est l’État grec lui-même et non les banques centrales de l’Eurosystème en tant que créanciers et détenteurs de tels titres.
102 Enfin, les requérants ne sont pas fondés à invoquer la décision de la BCE sur les OMT, postérieure aux faits pertinents du cas d’espèce, qui, en vertu de ses conditions et de son champ d’application spécifiques, à savoir l’existence d’un programme complet d’ajustement macroéconomique ou d’un programme de précaution du FESF et du MES, vise des situations non comparables à celle de la crise inédite de la dette publique à laquelle la République hellénique était confrontée au début de l’année 2012 et dans le cadre desquelles l’application de la clause pari passu dépend précisément des conditions d’émission accordées par le débiteur émetteur des titres concernés (voir point 37 ci-dessus).
103 Par conséquent, il y a lieu de conclure au rejet du présent moyen dans son ensemble.
– Sur le moyen tiré d’un détournement de pouvoir et sur la prétendue violation du principe de proportionnalité, « de cohérence et de rationalité »
104 Dans le cadre du troisième moyen, les requérants reprochent à la BCE, d’une part, un détournement de pouvoir, la BCE ne disposant pas de pouvoir discrétionnaire – ou ayant du moins abusé dudit pouvoir – pour protéger son budget financier contre des pertes que doivent supporter les créanciers privés, et, d’autre part, une violation du principe de proportionnalité, « de cohérence et de rationalité » résultant des « dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 4, TUE et de l’article 296 TFUE ». En s’accordant dans son propre intérêt et dans celui des banques centrales nationales un traitement favorable au détriment des créanciers privés tout en usant de pouvoirs dont les requérants ne disposent pas, la BCE aurait commis un détournement de pouvoir. En effet, une telle mesure ne s’intégrerait pas dans le cadre d’une politique monétaire destinée à assurer la stabilité des prix. En outre, par l’accord d’échange du 15 février 2012, la BCE aurait protégé ses ressources financières en évitant d’encourir les pertes que les seuls créanciers et épargnants privés ont dû supporter, et ce sans disposer d’un pouvoir discrétionnaire à cette fin ou, à tout le moins, en faisant un usage abusif dudit pouvoir, « notamment en définissant [l]e rehaussement de crédit décidé par les chefs d’État et de gouvernement de la zone euro le 21 juillet 2011 ». Selon les requérants, ce détournement de pouvoir découle de l’absence de motivation quant à l’objectif concret poursuivi par la BCE au moyen des mesures adoptées qui sont donc, également sous cet aspect, arbitraires. En effet, les comportements de la BCE auraient été motivés par l’objectif déterminant, voire exclusif, de créer un statut de créancier privilégié pouvant échapper, à la différence des créanciers privés, à la restructuration de la dette publique grecque. En tout état de cause, ces comportements de la BCE ainsi que ses décisions ne respecteraient pas les principes de proportionnalité, de cohérence et de rationalité. Enfin, en omettant, à l’occasion de la négociation de l’accord d’échange avec la République hellénique, de prendre en compte la situation particulière des investisseurs privés, la BCE aurait méconnu des règles supérieures de droit de l’Union et aurait outrepassé de manière grave et manifeste les limites de l’exercice de ses pouvoirs. Ainsi, les créanciers privés auraient été les seuls à devoir supporter, de manière injustifiée et « punitive », les conséquences néfastes de la restructuration imposée de la dette publique grecque, alors même que la BCE, le créancier le plus important, y échappait. Toutefois, la réduction de valeur nominale des titres de créance grecs soumis au PSI aurait certainement été moindre si la BCE avait dûment participé à cette restructuration au même titre que les créanciers privés.
105 La BCE conclut au rejet du présent moyen. Elle n’aurait joué qu’un rôle consultatif dans le cadre du processus de négociation complexe au niveau politique et macroéconomique qui visait à s’assurer le soutien de nombreux créanciers et d’autres établissements financiers dans le but d’éviter le défaut de paiement de la République hellénique et qui a finalement conduit au PSI. En outre, il n’incomberait pas à la BCE de justifier la législation adoptée par la République hellénique au regard du principe de proportionnalité. Eu égard à la conformité au droit de l’Union de la décision de la République hellénique d’exclure la participation de la BCE du PSI, l’activité consultative de cette dernière ne saurait être considérée comme relevant d’un usage inapproprié de ses pouvoirs. La négociation de l’accord d’échange du 15 février 2012 aurait été nécessaire sur le plan technique pour garantir la mise en œuvre de la décision prise par le législateur grec. Il n’aurait existé aucun conflit d’intérêts dans le chef de la BCE, dont l’activité aurait été conforme à son devoir de protéger son indépendance financière afin de continuer à exécuter les missions prévues par le traité FUE.
106 À titre liminaire, il convient de souligner qu’un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, avoir été pris dans le but exclusif, ou à tout le moins déterminant, d’atteindre des fins autres que celles excipées ou d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, Rec, EU:T:2008:461, point 151 et jurisprudence citée).
107 Force est de relever que, par le présent moyen, les requérants remettent en cause la légalité des comportements de la BCE essentiellement pour les mêmes motifs que ceux avancés au soutien des premier et deuxième moyens. Or, compte tenu des considérations exposées aux points 87 à 96 ci-dessus, les requérants ne sont pas parvenus à avancer des indices objectifs, pertinents et concordants de nature à indiquer que, par les comportements incriminés, la BCE aurait commis un détournement de pouvoir, aurait abusé de son large pouvoir d’appréciation au titre de l’article 127, paragraphes 1 et 2, TFUE, lu conjointement avec l’article 282, paragraphe 1, TFUE, ainsi que de l’article 18, paragraphe 1, premier et second tirets, des statuts ou aurait manifestement et gravement méconnu les limites dudit pouvoir d’appréciation ou de ses compétences en matière de politique monétaire au sens des principes rappelés aux points 67 à 69 ci-dessus.
108 Ainsi, la création, moyennant la passation et la mise en œuvre de l’accord d’échange du 15 février 2012, du prétendu « statut de créancier privilégié » des banques centrales de l’Eurosystème pour échapper à la restructuration de la dette publique grecque au titre du PSI et en vertu de l’application des CAC ne saurait être considérée comme abusive ou outrepassant les limites des compétences de la BCE. Au contraire, ces mesures s’inséraient dans le cadre de l’exercice de ses compétences et missions fondamentales en ce qu’elles visaient précisément à préserver la marge de manœuvre desdites banques centrales et à assurer la continuité du bon fonctionnement de l’Eurosystème (voir point 93 ci-dessus). Il en est de même de la décision 2012/153 en tant qu’elle a obligé la République hellénique à fournir aux banques centrales nationales un rehaussement de crédit pour que celles-ci puissent continuer à accepter les titres de créance grecs en tant que sûretés appropriées aux fins d’opérations de crédit de l’Eurosystème au sens de l’article 18, paragraphe 1, second tiret, des statuts (voir point 94 ci-dessus).
109 Partant, les griefs tirés d’un détournement ou abus de pouvoir doivent être rejetés.
110 Enfin, les motifs avancés à l’appui des griefs tirés d’une violation du principe de proportionnalité, « de cohérence et de rationalité », ainsi que d’une violation résultant des « dispositions combinées de l’article 5, paragraphe 4, TUE et de l’article 296 TFUE » sont à ce point succincts, vagues et imprécis qu’ils ne permettent pas de comprendre la mesure dans laquelle lesdits griefs diffèrent de ceux déjà appréciés et rejetés. Dès lors, ces griefs doivent également être rejetés.
111 Par conséquent, les griefs invoqués dans le cadre du troisième moyen ne peuvent être retenus et ne sont pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la BCE.
– Sur le moyen tiré d’une violation des articles 123 TFUE et 127 TFUE ainsi que de l’article 21 des statuts
112 Dans le cadre du quatrième moyen, les requérants soutiennent que la BCE a violé les articles 123 TFUE et 127 TFUE ainsi que l’article 21 des statuts. Elle aurait manifestement et gravement excédé son large pouvoir d’appréciation au titre de ces règles en négociant l’accord d’échange du 15 février 2012 et en obtenant un statut de créancier privilégié que les dispositions en vigueur ne prévoyaient pas. Ce serait d’autant plus vrai que la BCE se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts, compte tenu de sa position au sein de la « troïka » et de l’Eurogroupe, de celle de créancier de la République hellénique, ainsi que de celle de gardienne de la politique monétaire au sens de l’article 127 TFUE. Ces mesures ne sauraient être justifiées par l’indépendance ou l’autonomie de la BCE, telles que reconnues par les traités, les interventions et les décisions de politique monétaire pour lesquelles la BCE est compétente étant destinées à la poursuite des objectifs généraux de l’Union et devant respecter le droit de l’Union, dont le principe d’égalité de traitement. Les requérants ajoutent que « soit la BCE a violé, par excès ou détournement de pouvoir, les compétences qui lui sont attribuées à l’article 127 TFUE, soit [elle] a violé l’article 123 TFUE ». Selon les requérants, si la stabilité des prix est l’objectif de la politique monétaire, la stabilité financière obtenue par une aide octroyée au moyen de l’acquisition de titres d’État de pays de la zone euro en difficulté ne relèverait pas des missions de l’Eurosystème.
113 La BCE conclut au rejet du présent moyen.
114 Il suffit de constater que l’argumentation avancée à l’appui de ce moyen est particulièrement vague et succincte et se recoupe largement avec celle avancée au soutien des deuxième et troisième moyens, de sorte que les considérations développées aux points 87 à 96 et 107 à 110 ci-dessus s’appliquent mutatis mutandis. De surcroît, cette argumentation est intrinsèquement contradictoire en ce qu’elle est destinée à appuyer une violation de l’article 123 TFUE, lu conjointement avec l’article 21 des statuts. En effet, ainsi que le font valoir les requérants eux-mêmes, les comportements incriminés de la BCE, en particulier la passation de l’accord d’échange du 15 février 2012, visaient à éviter que les banques centrales de l’Eurosystème participent à la restructuration de la dette publique grecque en sacrifiant une partie de la valeur des titres de créance grecs détenus dans leurs portefeuilles respectifs. Toutefois, il importe de relever qu’une telle participation inconditionnelle aurait précisément risqué d’être qualifiée d’intervention ayant un effet équivalent à celui de l’acquisition directe par lesdites banques centrales de titres étatiques, interdite par l’article 123 TFUE.
115 Par conséquent, les griefs invoqués dans le cadre du quatrième moyen ne sauraient être accueillis et ne sont pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de la BCE.
116 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’aucun des moyens d’illégalité invoqués par les requérants n’est susceptible de remplir la première condition de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE, au sens de l’article 340, troisième alinéa, TFUE. Dès lors, il y a lieu de rejeter les conclusions en indemnité, en ce qu’elles sont fondées sur la responsabilité non contractuelle de la BCE du fait d’un acte illicite, pour ce seul motif et sans qu’il soit nécessaire d’apprécier les conditions de la réalité du dommage et de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué.
2. Sur la responsabilité non contractuelle de la BCE du fait d’un acte normatif licite
117 À titre subsidiaire, les requérants avancent avoir subi un dommage anormal et spécial au sens de la jurisprudence qui leur donnerait droit à une indemnisation même en l’absence d’acte illicite de la BCE. En l’espèce, ils auraient subi une « atteinte démesurée et intolérable à la substance même » de leur droit de propriété en tant que détenteurs de titres de créance grecs, en ce que la valeur nominale desdits titres aurait été réduite de manière disproportionnée.
118 La BCE conteste tant l’existence d’un régime de responsabilité du fait d’un acte licite en droit de l’Union que celle, en l’espèce, d’un préjudice anormal et spécial.
119 S’agissant de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un acte licite relevant de la sphère de compétence normative de celle-ci, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour, applicable mutatis mutandis à la responsabilité non contractuelle de la BCE au titre de l’article 340, troisième alinéa, TFUE, que, en l’état actuel du droit de l’Union, l’examen comparatif des ordres juridiques des États membres ne permet pas de consacrer l’existence d’un régime de responsabilité non contractuelle de l’Union du fait de l’exercice licite par celle-ci de ses activités relevant de la sphère normative (voir arrêt du 14 octobre 2014, Buono e.a./Commission, C‑12/13 P et C‑13/13 P, Rec, EU:C:2014:2284, point 43 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, certains des actes visés par les requérants, dont la décision 2012/153, relèvent de l’exercice par la BCE de ses pouvoirs décisionnels normatifs. Partant et pour ce seul motif, la demande d’indemnisation doit être rejetée pour ce qui est des actes de portée générale adoptés par la BCE ou du refus de celle-ci d’adopter un tel acte, tels que visés au point 71 ci-dessus.
120 Au surplus, il y a lieu de préciser que, en l’espèce, les requérants ne peuvent prétendre avoir subi un préjudice anormal et spécial susceptible de justifier une telle responsabilité dans l’hypothèse où elle devrait néanmoins être reconnue dans son principe. En effet, il ressort d’une jurisprudence établie que, d’une part, un préjudice présente un caractère « anormal » s’il dépasse les limites des risques économiques inhérents aux activités dans le secteur économique en cause (voir arrêt du 7 novembre 2012, Syndicat des thoniers méditerranéens e.a./Commission, T‑574/08, EU:T:2012:583, point 78 et jurisprudence citée). D’autre part, le préjudice doit être qualifié de « spécial » si l’acte concerné affecte une catégorie particulière d’opérateurs économiques d’une façon disproportionnée par rapport à d’autres opérateurs (arrêts du 28 avril 1998, Dorsch Consult/Conseil et Commission, T‑184/95, Rec, EU:T:1998:74, point 80, et du 10 février 2004, Afrikanische Frucht-Compagnie et Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Conseil et Commission, T‑64/01 et T‑65/01, Rec, EU:T:2004:37, point 151).
121 En l’espèce, le préjudice invoqué par les requérants ne dépasse pas les limites des risques économiques inhérents aux activités commerciales dans le cadre du secteur financier, notamment aux transactions portant sur des titres de créance négociables émis par un État, surtout, lorsque cet État présente, comme la République hellénique à partir de la fin de 2009, une notation réduite. Au contraire, indépendamment du principe général selon lequel tout créancier doit supporter le risque d’insolvabilité de son débiteur, y compris étatique, de telles transactions s’effectuent sur des marchés particulièrement volatils, souvent soumis à des aléas et à des risques non contrôlables s’agissant de la baisse ou de l’augmentation de la valeur de tels titres, ce qui peut inviter à la spéculation pour obtenir des rendements élevés dans un laps de temps très court. Dès lors, à supposer même que tous les requérants ne soient pas engagés dans des transactions de nature spéculative, ils devaient être conscients desdits aléas et risques quant à une éventuelle perte considérable de la valeur des titres acquis. C’est d’autant plus vrai que, même avant le début de sa crise financière en 2009, l’État grec émetteur faisait déjà face à un endettement et à un déficit élevés. Partant, le préjudice subi en raison du PSI ne peut être qualifié d’« anormal » au sens de la jurisprudence précitée.
122 Il n’est pas non plus possible de qualifier ce préjudice de « spécial », dès lors que les requérants se voyaient soumis, au même titre que tous les autres investisseurs privés, certes à l’exception des banques centrales de l’Eurosystème, au PSI et au mécanisme de décote fondé sur la loi hellénique n° 4050/2012. Dans ces conditions et compte tenu du grand nombre d’investisseurs concernés, identifiés par ladite loi de manière générale et objective en fonction, notamment, des numéros de série des titres en cause, les requérants ne peuvent être considérés comme appartenant à une catégorie particulière d’opérateurs économiques qui étaient affectés d’une façon disproportionnée par rapport à d’autres opérateurs.
123 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours doit être rejeté dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’apprécier la recevabilité des éléments de preuve soumis pour la première fois dans la réplique, d’ordonner à la BCE la production de l’accord d’échange du 15 février 2012 ou de demander l’établissement d’une expertise aux fins de la détermination du montant des préjudices subis.